Les territoires fragiles et l’ouverture d’une pharmacie

Auteur : Éric THIÉBAUT Avocat
Publié le : 26/08/2024 26 août août 08 2024

L’ordonnance du 3 janvier 2018 a réformé de manière importante la législation afférente aux créations, transferts et regroupements de pharmacie.

Elle prévoyait de faciliter l’implantation d’officines dans des territoires au sein desquels l’accès aux médicaments pour la population n’est pas assuré de manière satisfaisante. 

Le décret d’application le permettant a été publié le 7 juillet 2024. Les conditions d’ouverture de pharmacie dans les petites communes vont être assouplies.
 
La loi dispose qu’il est interdit d’installer une nouvelle pharmacie dans une commune de moins de 2 500 habitants.
Dorénavant l’ouverture d’une pharmacie sur un territoire de moins de 2.500 habitants sera possible sous conditions. 

L’ordonnance de 2018 « a prévu l’octroi d’aides et l’application de conditions d’ouverture assouplies dans les territoires au sein desquels l’accès aux médicaments n’est pas assuré de manière satisfaisante, dits "fragiles" ».
 
Ce régime dérogatoire concerne les « ensemble de communes contiguës dépourvues d’officine », 

Dans ces territoires, l’ordonnance de 2018 prévoit que l’ouverture d’une officine dans une commune de moins de 2 500 habitants est possible lorsque celle-ci est située dans un ensemble de communes contiguës dépourvues d’officine, sous deux conditions démographiques : l’une de ces communes recense au moins 2 000 habitants et toutes ensemble rassemblent au moins 2 500 habitants.
 
Le décret a été publié au Journal officiel.

En pratique les directeurs des ARS vont pouvoir fixer par arrêté la liste des territoires concernés dans leur région, sur lesquels pourront être prises « des mesures destinées à favoriser ou maintenir une offre pharmaceutique ».
Les directeurs des ARS détermineront ces territoires « par référence à l'un ou plusieurs des critères suivants » : 
« le classement du territoire en zone sous-dense »  ; 
« la récurrence de la participation des officines du territoire au service de garde et d'urgence »  ; 
« le nombre de pharmacies, au sein du territoire, exploitées par un seul pharmacien titulaire »  
et « le nombre de pharmacies, au sein du territoire, exploitées par un seul pharmacien titulaire lorsque ce dernier est âgé de plus de 65 ans. » 

Précisons que « le nombre d'habitants résidant, pour une région donnée, dans [ces territoires fragiles] ne peut pas dépasser un plafond défini, pour chaque région, par arrêté du ministre chargé de la santé, en pourcentage du nombre d'habitants de la région. »  Cet arrêté a également été publié le 7 juillet 2024.
 
Ces plafonds de population résidant dans un territoire au sein duquel l'accès aux médicaments pour la population n'est pas assuré de manière satisfaisante sont les suivants : 8 % en Auvergne-Rhône-Alpes, 4 % en Bourgogne-Franche-Comté, 6 % en Bretagne, 10 % en Centre-Val de Loire, 18 % en Corse, 6 % dans le Grand Est, 8 % en Guadeloupe, 45 % en Guyane, 2 % en Hauts-de-France, 6 % en Île-de-France, 2 % à La Réunion, 1 % en Martinique, 100 % à Mayotte, 13 % en Normandie, 4 % en Nouvelle-Aquitaine, 4 % en Occitanie, 8 % dans les Pays de la Loire et 3 % en Provence-Alpes-Côte d'Azur. 
 
À partir des conditions détaillées dans le décret et l’arrêté, le directeur de l’ARS pourra dresser « la liste des communes contiguës dépourvues d’officine, dont une recense au moins 2 000 habitants », de façon que le total de la population de ces communes atteigne le seuil des 2 500 habitants requis pour l'ouverture d'une officine. 
 
L’ordonnance de 2018 ouvre par ailleurs, dans ces territoires toujours, la possibilité de créer une officine sans condition de seuil de population « auprès d'un centre commercial, d'une maison de santé ou d'un centre de santé ».

L'arrêté du directeur général l’ARS sera pris après avis (et non accord) « du Conseil de l'ordre des pharmaciens territorialement compétent, de l'Union régionale des professionnels de santé pharmaciens, du représentant régional désigné par chaque syndicat représentatif de la profession, de la conférence régionale de la santé et de l'autonomie » et des conseils territoriaux de santé, dans lesquels siègent les maires.


En droit ce décret est susceptible d’être critiqué. En effet, tout d’abord, il semble contrevenir au principe d’égalité au terme duquel un traitement identique est imposé à une situation identique sur le territoire.

Par ailleurs, il existe un plafond (limitant le pourcentage de personnes susceptible d’être pris en compte) et différents critères d’identification des territoires pour qualifier une zone de fragile. L’appréciation se réalisera à la discrétion (avec un risque discriminatoire entre pharmaciens) par chaque directeur d’ARS. L’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire national ne semble donc pas assurée.


Dans les faits, cette nouvelle législation essaye de régler un problème qui n’est pas nouveau. 
4.000 officines ont disparu depuis 2007, soit sur les 17 dernières années. Pourquoi ? N’ont-elles pas disparu pour partie de ces « zones fragiles » ?

Sur cette même période des 17 dernières années combien de médecins notamment généralistes sont partis et n’ont pas été remplacés ? Combien de maternités ont été fermées ? 

Combien sur ces 17 dernières années en « zones fragiles » d’agences bancaires, bureaux de poste, bureaux de tabac, boulangeries, épiceries,… ont fermé ? Combien d’entreprises ont fermé ? Combien d’habitants ont disparu ?
Sur les 4.000 officines ayant fermé, s’est on interrogé sur le pourcentage d’officine créées par voie dérogatoire quand la loi le permettait et économiquement non viables ?
 
Restent des questions en suspens :
Si une petite ou moyenne pharmacie existe déjà dans une zone fragile, pourquoi en permettre une seconde ?

Quel pharmacien ouvrira une officine en zone fragile sans cabinet médical à proximité immédiate, sans tissu de commerces essentiels ?

Comment partira-t-il en vacances ? 

Et qui lui succédera et comment ?

L’avenir nous précisera si ce décret attendu sera utilisé et comment. 

 

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