L’EMPRUNT OBLIGATAIRE ET LE FINANCEMENT DES OFFICINES DE PHARMACIE

L’EMPRUNT OBLIGATAIRE ET LE FINANCEMENT DES OFFICINES DE PHARMACIE

Publié le : 03/04/2024 03 avril avr. 04 2024

L’emprunt obligataire, notion exotique pour un non-initié, correspond pourtant à un outil de financement très ancien, longtemps oublié, puis repris et modernisé par la loi de 1966 sur les sociétés, codifié aux articles L228–38 et suivants du code de commerce puis enfin en 2004.

Du premier emprunt obligataire lancé par François Ier en 1522, sous forme de rente perpétuelle pour financer la guerre d’Italie, repris au début du XIXe siècle, d’abord par le Crédit Foncier pour porter d’importants projets industriels, et aussi pour financer la construction du canal interocéanique de Panama (financement obligataire ayant entraîné la ruine des épargnants) le début des années 2000 a connu un véritable essor de l’emprunt obligataire après mise en place d’un régime général des valeurs mobilières.

Au-delà du financement traditionnel sous forme de prêt bancaire, l’acquisition d’un fonds de commerce ou de titres d’une société d’officine de pharmacie peut se faire sous forme d’un emprunt obligataire se traduisant par l’émission d’obligations.

Le candidat acquéreur pourra compléter son apport personnel et un prêt bancaire par un financement consenti par un investisseur extérieur, y compris non-pharmacien.

Pour ce qui concerne l’activité réglementée d’exploitation d’officine, le recours à l’emprunt obligataire permet de contourner les dispositions du code de la santé publique (L5125-11 du Code de la Santé Publique). Le recours à l’emprunt obligataire permet in fine à un non-pharmacien d’entrer dans le capital d’une officine de pharmacie par le biais d’émission d’obligations en cas d’ouverture du capital. 

Mécanisme de l’emprunt obligataire

Appréhender l’intérêt et les risques du recours à un emprunt obligataire pour financer son projet d’acquisition d’une officine de pharmacie suppose de connaître et comprendre le mécanisme d’un tel financement matérialisé sous forme d’obligations achetées par un investisseur.

Définition 

Qu’est-ce qu’une obligation ? C’est est un titre de créance émis par une société à la recherche d’un financement. Le souscripteur d’une obligation paye le titre et en contrepartie bénéficie du paiement d’un intérêt annuel appelé coupon. Au terme du contrat établi la société débitrice de l’obligation devra comme tout emprunt, rembourser le titre de créance aux souscripteurs. Seule une personne morale (société) peut recourir à un emprunt obligataire 

Différents types d’obligations

Obligation simple (OS) :

L’obligation simple ne donne pas accès au capital. Elle permet à l’investisseur de contracter une dette envers la société émettrice soit en l’espèce la société exploitant la pharmacie.  Cette dette sera remboursable uniquement en numéraire selon les modalités prévues dans le contrat d’émission d’obligations régularisé entre la société et l’investisseur (taux d’intérêt, durée...)

Obligations Convertible en actions (OCA) :

L’obligation convertible en actions donne à l’investisseur un droit d’accès au capital de la société émettrice.
En effet l’OCA permet la conversion de l’obligation en action de la Société émettrice, toujours selon modalités fixées dans le contrat d’émission d’obligation, lequel prévoit notamment le ratio de conversion, qui définit le nombre d’actions auquel donne droit l’obligation.

Ce mécanisme présente l’avantage d’obtenir des fonds selon des modalités beaucoup moins contraignantes que les prêts bancaires, néanmoins ce mécanisme n’est pas sans risque dans la mesure où, à la date de la conversion. la société émettrice risque de perdre le contrôle en se retrouvant totalement diluée dans le capital. 
Le véritable enjeu actuel en matière d’emprunt obligataire dans le secteur de la pharmacie d’officine porte sur le financement par l’émission d’obligations convertibles.

Les contrat d’obligation simple (OS) et contrat d’obligation convertible en action (OCA)

Les contrats d’OS et d’OCA font l’objet d’une très (trop?) grande liberté contractuelle, les parties définissant librement les clauses contenues dans les contrats d’obligation.

En matière de financement d’officine de pharmacie, l’emprunt obligataire est dans la très grande majorité consenti par un fonds d’investissement.

La liberté contractuelle attachée au contrat obligation convertible doit conduire à un examen rigoureux des contrats, tout particulièrement sur trois points : le taux d’intérêt, la durée et les modalités de conversion.

Cet examen s’impose d’autant plus que les contrats d’émission d’obligation prérédigés (avec tous les contrats annexes) par les fonds d’investissement s’analysent en contrats d’adhésion, les contrats proposés s’inscrivent en effet dans une opération globale qui s’impose dans sa globalité à la société de pharmacie émettrice.

Le taux d’intérêt :

L’examen des contrats et d’émission d’action convertible établis par le fonds d’investissement lui-même a permis de constater que les taux d’intérêt pratiqués par les investisseurs détenteurs des obligations prévoient des taux d’intérêts prohibitifs, souvent de 8 % pouvant aller jusqu'à 17 % ou plus encore.

Il est important de souligner que le contrat d’émission d’actions convertible n’entre pas dans le champ du monopole bancaire.

De ce fait, le taux d’intérêts pratiqué est totalement libre, 

La durée :

Tous les contrats d’obligations convertibles doivent être limités dans le temps.

La durée est un élément non négligeable en ce qu’il a un impact certain sur l’exploitation de la pharmacie.
En effet, tout remboursement anticipé engendrera non seulement le remboursement de l’emprunt mais également le remboursement des intérêts pendant toute la durée du contrat et ce jusqu'au terme prévu dans le contrat.

Ainsi et à titre d’exemple, un contrat d’obligation convertible au taux d’intérêt de 8 % sur une durée de 12 ans, entraînera en cas de remboursement anticipé (si le contrat l’autorise) à l’issue des cinq premières années le remboursement d’intérêts calculés sur les sept années restant à courir pour arriver au terme du contrat.
A l’évidence cet élément très onéreux doit être pris en compte dans le choix du recours à un financement par l’émission d’obligations convertibles.

Modalités de sortie

L’examen des contrats d’obligation convertible a permis de constater que les modalités de sortie du contrat se révélaient souvent très voire trop contraignantes,
Le prix de cession des obligations convertibles est très souvent subordonné à la réalisation de résultats, souvent irréalisables, outre une clause de non-concurrence et des préavis de sortie particulièrement longs

Avantages et risques de l’emprunt obligataire

L’avantage de recourir un tel emprunt est indéniablement de disposer rapidement et facilement de fonds complémentaires permettant d’augmenter de façon sensible notamment l’apport personnel.
Néanmoins le recours à un emprunt obligataire ne doit pas être appréhendé comme une solution de facilité, permettant simplement de compléter aisément un apport personnel, ni constituer une décision anodine au regard des conséquences de ses choix sur l’exploitation.

L’intervention d’un fonds d’investissement a en effet exclusivement pour but un retour sur investissement rapide et rentable.

Il s’agit d’une opération à caractère strictement spéculatif, ce qui explique l’application de taux d’intérêts très élevés, en déconnexion totale avec les taux d’intérêts bancaires et l’encadrement drastique des modalités de rachat des titres par la société émettrice.

Le caractère strictement et exclusivement spéculatif de l’intervention d’un fonds d’investissement dans le financement d’une officine de pharmacie est encore plus vrai.

En effet dans la réalité l’obligation convertible ne pourra jamais être convertie, à défaut pour le fonds d’investissement d’être pharmacien qui ne peut en l’état de la législation entrer directement dans le capital de la pharmacie.
Cette situation oblige les associés de la société émettrice à procéder au rachat des actions de la société ce qui explique également la nécessité de s’assurer des modalités de sortie du contrat d’émission.

Le Financement sous forme d’obligation convertible constitue en l’état pour le fond d’investissement une situation provisoire, dans l’attente d’une éventuelle modification de la législation concernant l’ouverture du capital des pharmacies à des non-pharmaciens.

Le recours à l’émission d’obligation convertible pour financer l’acquisition d’une officine de pharmacie nécessite donc réflexion et prudence dans le cadre d’une étude comptable rigoureuse.

Compte tenu de la spécificité de l’activité de pharmacie d’officine, des taux d’intérêts bancaires bas (comparés à ceux des emprunts obligataires) et de l’existence d’autres offres alternatives, il est permis de s’interroger sur le caractère judicieux du choix de l’emprunt obligataire.

Le fond d’investissement et le pharmacien ne partagent pas d’intérêt commun, la recherche du fond d’investissement est et restera celui d’un retour rapide et rentable sur investissement.

D'autres offres existent pour compléter le financement d’un fonds de commerce ou de titres d’une officine de pharmacie, tel par exemple que les prêts CAVP.

Les prêts CAVP sont également consentis sous forme d’emprunt obligataire, seule façon actuelle de contourner les dispositions du code de la santé publique, mais au taux fixe de moins de 4%.

Enfin, le Code de la Santé Publique n’autorisant pas encore l’ouverture du capital aux non-pharmaciens, les prêts obligataires proposés pour faciliter le financement de l’acquisition d’officine de pharmacie doivent être appréhendés avec prudence et circonspection dans la mesure où, en l’état de la législation, les obligations ne peuvent pas être converties (sauf si le préteur est un pharmacien).

En conséquence, il s’agit dans ce domaine plus que pour d’autres, d’une opération à caractère strictement spéculatif pour le préteur, ceci d’autant plus que les contrats d’obligations proposés sont drastiquement encadrés et viennent limiter considérablement les prérogatives du pharmacien titulaire, voire son indépendance professionnelle, outre l’incidence du taux d’intérêt pratiqué très élevé et sans pouvoir invoquer le bénéfice des dispositions attachées au taux d’usure et la plupart du temps sans possibilité de rembourser par anticipation.

Les primo accédants pourront s’orienter sur le choix d’un prêt CAVP, malheureusement limité à ces seuls bénéficiaires (et sans pharmacien investisseur dans le capital) et au montant maximum de 500.000 euros.
La spécificité de l’activité de pharmacien d’officine, profession règlementée par le Code de la Santé Publique ne permet pas de bénéficier pleinement des moyens de financements externes et de l’ensemble des dispositions prévues par le Code de Commerce en matière de prêt obligataire. 

Une très grande prudence s’impose avant de souscrire à ces contrats. Les projets de ces contrats (avec tous les contrats y attachés) doivent impérativement faire l’objet d’une information préalable de plusieurs semaines dès avant la promesse de vente. Dès communication de ces projets, le pharmacien doit s’attacher les services d’un cabinet d’avocat spécialisé et totalement indépendant, afin de les faire analyser et bénéficier d’une analyse et de conseils pertinents, lui permettant de prendre sa décision d’adhérer ou non à ces contrats et donc d’acquérir ou non l’officine convoitée. 

Éric THIÉBAUT, avocat, cabinet JURISPHARMA 
 

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